Kenya : Contre l’oubli et l’inaction-Déclaration pour la justice et la dignité des victimes de féminicide
Face à l’épidémie de féminicides, la société civile exige une action immédiate de l’État du Kenya. Elle réclame la reconnaissance légale de ce crime, la mise en place d’unités policières spécialisées dotées d’un soutien psychologique, ainsi que la création d’une commission disposant de moyens réels. L’inaction n’est plus une option.
L’ADH déclare son indignation et sa profonde inquiétude face à l’épidémie de féminicides qui ravage le Kenya. Le cas tragique de Mary Wambui, 10 ans, ainsi que les chiffres record de 2023, ne sont pas des incidents isolés, mais les symptômes d’une crise systémique. L’absence de reconnaissance juridique spécifique du féminicide, combinée à des réponses institutionnelles inadéquates, constitue un abandon des femmes et des filles et une violation des engagements constitutionnels du Kenya en matière de droit à la vie, à la dignité et à la sécurité.
Notre analyse révèle une situation critique marquée par plusieurs défaillances structurelles.
Premièrement, l’incapacité à inscrire le féminicide comme un crime spécifique dans le droit pénal kényan a pour effet de minimiser la gravité de ces meurtres genrés. Cette lacune juridique entrave la collecte de données précises et empêche une réponse judiciaire adaptée à la dimension patriarcale et systémique de ces violences.
Deuxièmement, le système de protection dans son ensemble — de la police aux tribunaux — n’est pas équipé pour accueillir, protéger et accompagner de manière digne les survivantes et les familles des victimes. Le manque criant de soutien psychosocial immédiat et spécialisé au sein même des commissariats se transforme trop souvent en une forme de violence secondaire, ajoutant à la souffrance des personnes en détresse. Si la pression populaire et médiatique a contraint le gouvernement à créer un groupe de travail, les mesures concrètes et les ressources allouées demeurent dérisoires au regard de l’ampleur du fléau. L’essentiel de l’action repose encore sur le courage et les moyens limités des ONG et des collectifs citoyens, comme l’illustre le travail crucial d’Usikimye.
Enfin, le témoignage poignant de Lenah Kanywa et le choc provoqué par l’exposition itinérante sont des rappels douloureux mais nécessaires : derrière chaque statistique se cache une vie volée, une famille dévastée et une exigence de justice qui ne doit en aucun cas être étouffée par l’inaction ou par des demi-mesures.
Exigeant une réponse urgente, coordonnée et financée, la société civile appelle le Gouvernement du Kenya, le Parlement, le pouvoir judiciaire et les gouvernements des comtés à :
1. Reconnaissance juridique immédiate
Inscrire le féminicide comme un crime spécifique dans la loi pénale kényane (Penal Code), assorti de circonstances aggravantes claires et de peines proportionnées à la gravité de l’acte. Cette reconnaissance constitue une étape fondamentale pour briser l’impunité.
2. Mise en place d’un protocole national de prise en charge
Établir et financer des unités spécialisées dans chaque commissariat de police, composées d’agents formé·e·s et de psychologues professionnel·le·s disponibles 24h/24, afin d’assurer un accueil digne, un enregistrement efficace des plaintes et un soutien immédiat aux victimes et à leurs familles.
3. Renforcement et responsabilisation du groupe de travail
Transformer le groupe de travail existant en une commission nationale d’action contre les féminicides et les violences basées sur le genre, dotée d’un mandat clair, d’un calendrier contraignant, d’un budget transparent et d’un pouvoir effectif de suivi des recommandations. Ses travaux et ses rapports doivent être rendus publics.
4. Investissement dans la prévention et la sensibilisation
Lancer une campagne nationale massive, permanente et coordonnée de sensibilisation et d’éducation, en partenariat avec la société civile, afin de déconstruire les normes sociales patriarcales, de promouvoir le consentement et de diffuser largement les mécanismes de signalement et d’assistance.
5. Soutien structurel aux survivantes et aux familles
Créer un fonds d’aide d’urgence et d’indemnisation destiné aux familles des victimes de féminicide et aux survivantes de violences graves, afin de couvrir les frais médicaux, psychologiques et juridiques et de leur garantir une sécurité économique minimale.
La justice pour Mary et pour toutes les victimes exige plus que des mots. Elle exige une transformation radicale du cadre légal et des institutions.
